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L’art aussi a un nez !

Longtemps mésestimée, la dimension olfactive perce enfin

sur la scène contemporaine.

L’usage des odeurs dans l’art ne date pas d’hier. Mais parce qu’il lui rappelle son animalité et ses instincts primitifs, l’odorat a été boudé par l’être humain – ce sens l’éloignant trop, sans doute, d’une condition supérieure que nous nous sommes nous-même inventés.

Contrairement à la vue, la faculté d’humer ne semble pas assez noble. Le manque de vocabulaire olfactif participe également à sa non-valorisation. Dans l’impossibilité d’analyser pleinement une odeur, nous la laissons agir sur nous. Ces caractéristiques deviennent un atout pour les artistes. Alors que la vision impose une distance au monde, l’odorat favorise le contact. L’œuvre se vit, se respire, impossible à éviter, elle suscite toujours une réaction ou, du moins, une attention de notre part.


Si l’art olfactif n’est toujours pas enseigné dans les écoles supérieures d’art (excepté quelques workshops), un intérêt a commencé à se faire sentir de la part des institutions culturelles au tournant du XXe siècle. Du Musée Tinguely à Bâle («Belle haleine – L’odeur de l’art», 2015) à la Tate Modern de Londres («Anicka Yi», 2021-2022) en passant par la biennale de Venise, les artistes « olfacteurs.rices » s’exposent de plus en plus. Pourquoi cette mise en avant arrive-t-elle si tard ? Depuis les années 1990, une grande partie de l’art contemporain se dirige vers une dématérialisation de l’œuvre, remettant en question les problématiques de conservation ou de vente. Le rapport direct à l’œuvre olfactive permet de casser les codes tacites des musées.

Il devient possible de sentir, goûter, toucher, bref de participer inévitablement à la destruction de ce qui nous semblait nécessaire pour traverser les siècles.

Immortel par son pouvoir de réminiscence, l’archivage des œuvres olfactives reste difficile à mettre en place. Dans un monde où l’immortalité fait encore rêver, sentir viendrait à l’encontre de ce schéma. Serions-nous constamment obsédés par la conservation de l’œuvre comme nous essayons de conserver nos corps ?
Cette démarche mortifère expliquerait peut-être la timide mise en valeur de ce sens dans le milieu de l’art contemporain. L’art olfactif active un processus différent. Il faut savoir accepter l’aspect éphémère de la matière odorante, rendue immortelle grâce à son pouvoir de réminiscence, son souvenir. Heureusement, les acteurs.rices de cette manière de faire art n’ont pas exhalé leur dernier souffle. Artistes, philosophes, critiques, commissaires... Aujourd’hui, les passionné.es participent à sa mise en avant.

 

Les odeurs sont partout, il va falloir s’attendre à les rencontrer bien plus souvent sur le devant de la scène. Préparez-vous donc à sentir l’art !

Tribune pour Beaux-Arts Magazine, mars 2022

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